Entre lectures et discussions aussi riches que variées, je commence à comprendre un peu mieux ce pays et ses habitants tout en me posant de plus en plus de questions.
Je découvre aussi la vie d'une ONG de l'intérieur, la richesse des projets menés et la qualité des personnes impliquées en prenant conscience de l'importance comme des limites de l'action dans un contexte très compliqué…
La soumission des birmans face à ce système rude ne peut que faire réagir le français que je suis qui se trouve confronté pour la première fois à un système totalitaire, de surcroit très fort. Je commence à en mesurer la puissance et le vice extrême.
Ce système en place depuis plus de 45 ans, et donc bien rodé, a vraiment tout d'ignoble : écrasement et appauvrissement des minorités ; censure totale ; enrichissement des dirigeants en sacrifiant les services à la population (santé, éducation) ; trafics de drogue ; encouragement de la délation ; développement d'un système dans lequel tout le monde se méfie de tout le monde ; diminution du pouvoir d'achat ; division des ethnies pour mieux régner ; campagnes d'intimidation, exploitation outrancière des ressources naturelles (notamment le teck) ; et bien sur : anéantissement de tout contestataire.
Si au premier abord on peut se demander comment il est possible de rester passif devant de telles injustices, on comprend peu à peu que ce système est vraiment bien organisé pour ne pas laisser de place à une quelconque contestation qui pourrait entraver les intérêts des dirigeants.
Mais comment un tel système a-t-il pu se mettre en place ?
La racine semble avant tout être religieuse. Le bouddhisme, cette religion paraissant pourtant si attrayante pour de nombreux occidentaux, ne laisse pas de place à la démocratie. Le « respect de l'ordre établi » est un élément incontournable du bouddhisme. Aussi, le sentiment de fatalité est particulièrement renforcé par l'idée que notre vie actuelle est le fruit de notre vie précédente : si certains sont malheureux, c'est qu'ils paient leur mauvaise vie précédente. Pourquoi donc s'en préoccuper ?
A ce contexte extrêmement inégalitaire viennent s'ajouter les problèmes économiques. Ainsi 3 catégories sociales se côtoient. Les pauvres qui doivent concentrer leurs efforts pour nourrir leur famille et lui offrir un toit. On voit mal comment ils pourraient trouver l'énergie de se rebeller au risque de se faire emprisonner pour des mois ou des années. Les classes moyennes qui, elles, ont le regard tourné vers l'étranger. Dès qu'ils le peuvent, les jeunes migrent. Beaucoup ne se semblent donc pratiquement pas préoccupés par ce qui se passe dans leur pays. Quant aux riches qui profitent allègrement de ce système, il est évident qu'ils n'ont rien à redire d'un système qui les privilégie.
Un professeur français de l'alliance française – présent à Yangon depuis 2 ans et marié à une birmane – me confiait ses doutes renforcés depuis les évènements de septembre dernier. Il fut en effet vraiment effaré de voir à quel point ses étudiants, issus de la classe moyenne, se désintéressaient de ce mouvement. Dans les cybercafés par exemple, ils préféraient les jeux en réseau aux sites d'informations… Selon lui, la réaction des birmans face aux arrestations ne fut pas la révolte ni le soutien des courageux manifestants qui, pour nous occidentaux, feraient figure de héros, mais plutôt la résignation. Après l'arrestation d'un de ses collègues birmans en décembre suite à une simple participation à une des manifestations de l'été, les réflexions qu'il a entendu étaient du type « il savait bien qu'en allant manifester il courrait se risque… ». D'après lui, si la population avait suivi il aurait été possible de bouger les choses car au début l'armée n'était pas présente en masse pour bloquer le mouvement ; il semblait y avoir un espace pour, enfin, se soulever.
Ces propos sont ceux d'un français de Yangon et sont à confronter avec ceux d'autres observateurs démontrant que les brutalités ouvertes n'ont effectivement duré que quelques jours, mais qu'elles ont suffi à terroriser la population.
Cela démontre bien à quel point le régime en place est très fort. Il a établi un tel climat depuis des années que les gens n'osent pas lever le petit doigt. Lorsqu'on ajoute à cela la force d'une religion tournée vers le passé (les vies antérieures) et conduisant donc à un fatalisme redoutable, on obtient une ambiance déconcertante, loin des schémas révolutionnaires de nos sociétés latines. Le bouddhisme pousse en effet à l'acceptation de ce qui a lieu. La révolte est proscrite car elle est génératrice d'insatisfaction.
Bien évidemment je parle ici des birmans de Yangon et pas des minorités ethniques comme les Karen (catholiques de l'Est) ou les musulmans de l'état Rakhine, qui, tellement privés de liberté et constamment humiliés, doivent ressentir un sentiment de révolte beaucoup plus fort.
A écouter différents témoignages, on comprend que pour vivre dans un tel pays (pour un bouddhiste) il ne reste plus qu'une solution : se débrouiller dans le système faire sans chercher à faire la distinction entre le bien et le mal. On m'a cité par exemple le cas de personnes anti junte qui n'étaient pas gênés de participer au mariage d'un membre de la famille d'un de leurs collègues clairement proche des militaires. Très difficile de trouver nos repères dans cette société si complexe et pourtant présentée de façon si caricaturale dans nos médias avec les méchants d'un coté et les gentils de l'autre.
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