Le Bangladesh a conclu, dimanche 1er mars, trois jours de deuil national décrétés au lendemain de la mutinerie de gardes frontières dont la violence, les 25 et 26 février, a causé un choc profond dans cet Etat musulman d'Asie du Sud à l'instabilité récurrente.
Le dernier bilan s'établissait, lundi, à 69 personnes tuées et 72 disparues. La plupart des victimes sont des officiers. Plusieurs centaines de mutins sont déjà sous les verrous et l'armée a déclenché une vaste opération pour arrêter un millier d'autres insurgés qui ont pris la fuite après la reddition du 26 février.
Les hommes du rang des Bangladesh Rifles (BDR), la force paramilitaire de 70 000 hommes chargée de garder les frontières du pays, s'étaient soulevés le 25 février contre leur hiérarchie après avoir exigé en vain une amélioration de leur solde ainsi que de leurs conditions de travail.
La mutinerie avait éclaté au quartier général des BDR, dans la capitale Dacca, où ont eu lieu les affrontements les plus violents, avant de faire tâche d'huile dans une douzaine de localités du pays. Les mutins avaient ensuite accepté de déposer les armes après une allocution télévisée du premier ministre, Cheikh Hasina, menaçant d'utiliser la force contre la rébellion.
Les révélations qui se succèdent sur les circonstances de cette révolte confirment l'extrême violence des affrontements. L'éditorial de lundi du Daily Star les qualifie " de grave catastrophe " ayant infligé un " traumatisme " au pays. Dans le même journal, une tribune du général à la retraite Abdul Hafiz évoque un " désastre aux proportions tectoniques " tandis que les partis politiques, affiliés à la coalition gouvernementale ou à l'opposition, parlent d'un " drame national ".
Au fil de l'exhumation de fosses communes dans l'enceinte du quartier général des BDR, situé dans le quartier de Pilkhana, à Dacca, les enquêteurs ont découvert des dizaines de corps criblés de balles et parfois mutilés.
CORPS NON IDENTIFIABLES
Le cadavre du général Shakil Ahmed, le commandant en chef des BDR, portait des marques d'entailles profondes à la baïonnette. Sa femme a également été tuée dans les affrontements.
De nombreux corps n'étaient plus identifiables, certains étant carbonisés. Selon des témoignages de rescapés, les assaillants se sont livrés à une mortelle chasse à l'homme, poursuivant et exécutant froidement les officiers.
Cette éruption de violence signe la fin de l'état de grâce pour Cheikh Hasina, dont le parti - la Ligue Awami - avait triomphé aux élections de fin décembre 2008 après deux ans de gouvernement intérimaire sous tutelle de l'armée.
Le premier ministre doit faire face à la grogne d'une partie de l'armée, dont les officiers dirigeaient les BDR, et des critiques de l'opposition. Ses détracteurs lui reprochent d'avoir fait preuve de faiblesse en négociant avec une délégation de chefs mutins une amnistie en échange de leur reddition.
La découverte de l'horreur des assassinats collectifs d'officiers a ensuite conduit Cheikh Hasina à préciser que l'impunité ne vaudrait que pour les seuls hommes des BDR non impliqués dans des actes de violence.
L'autre défi pour le premier ministre, fille du " père de la nation " Cheikh Mujibur Rahman, est d'identifier les éventuelles manipulations derrière une mutinerie apparemment motivée par des frustrations purement catégorielles.
Syed Ashraful Islam, ministre du développement rural, a fait état d'un " plan bien orchestré " impliquant l'intervention d'" éléments extérieurs " aux BDR. Les théories du complot sur cette mutinerie exceptionnelle pourraient bien empoisonner la vie politique bangladaise ces prochains mois.
Frédéric Bobin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire